dimanche 11 janvier 2015

ILS ONT CASSE MON CRAYON



Je dessinais
Ils sont arrivés
Ils ont cassé la mine de mon crayon
En explosant la pointe noire a éclaboussé de rouge la feuille blanche
J’ai ouvert mon tiroir
J’ai sorti mon taille-crayon
Et j’ai continué

jeudi 1 janvier 2015

JOUR DE L'AN



Je suis le jour de l’An.
C’est-à-dire « le premier jour de l’an nouveau »
Comme c’est trop long, on dit « jour de l’An »
 
Je suis de sexe masculin, sinon on dirait « journée de l’année »
 
On me fête le 1er janvier.
C’est l’hiver. Il fait froid, il fait sombre, il fait gris
 
Le 1er mai a plus de chance
A cause du soleil, des défilés, du muguet
Mais surtout, à cause des filles, plus belles au printemps
 
Le 1er avril est un farceur
Il raconte des histoires qui finissent en queue de poisson
 
J’évite le 1er septembre
Il me traite d’usurpateur
Il prétend que le vrai jour de la rentrée, c’est lui
Chaque année, il fait circuler une pétition réclamant ma destitution
 
Je n’aimerais pas être le 1er novembre
A cause des morts qui s’accumulent
Jadis il ne gérait que les saints (un pour chaque jour de l’année, c’était jouable)
Depuis qu’on lui a collé les âmes de tous ceux qui doivent la rendre bon gré mal gré
Il peine
Chaque année, la liste s’allonge
A cause des guerres, des attentats, des inondations et autres tsunamis
Sans compter les accidents, les suicides, la faim
Et la mode des génocides qui se répand
Maintenant que le moindre dictateur s’applique à en inscrire un à son palmarès
 
Alors malgré l’hiver, le froid, la grisaille
Je me console d’être le 1er janvier
Les rues sont illuminées, les magasins clignotent
Chacun embrasse n’importe qui
Et j’ai des guirlandes autour du cou
 
Bien sûr ça ne remplace pas le soleil
 
Mais je garde espoir
Le réchauffement climatique s’accélère
Les glaces fondent
L’hiver s’épuise
 
C’est pourquoi je réponds poliment :
Bonne année à vous aussi

mercredi 24 décembre 2014

SPECIAL ENFANT : LE CLOWN




Le clown

Il a un gros nez rouge, un chapeau blanc
Et une cravate bleue qui s’allume quand il parle

Il jongle avec trois boules
La petite fille applaudit

Il souffle dans une trompette percée
La petite fille se bouche les oreilles

Il roule ses yeux comme des billes
La petite fille éclate de rire

Il fait des cabrioles
Il glisse
Il tombe sur la tête
La petite fille se cache les yeux

Dans la rue, la petite fille donne la main à son papa
De l’autre, elle porte le sac de son papa
Dans le sac, il y a le gros nez rouge, le chapeau blanc
Et la cravate bleue qui s’allume quand on parle


texte: Jacques Koskas
illustration: Elisabeth Boutevin

vendredi 12 décembre 2014

L'AUTOMNE D'ARCIMBOLDO


Vous pouvez remercier mon assistante, la petite vieille au parapluie, de vous avoir retrouvé. Savez-vous que cette dame insignifiante est LA spécialiste d’Arcimboldo, dont vous fûtes le modèle pour la série des quatre saisons ? Sous son air innocent, c’est une véritable peste. Si vous aviez la curiosité d’aller voir sous ses jupes, vous y trouveriez un arsenal digne d’une armée d’état. Le bouton de mise à feu se trouve sur son parapluie. Classique, mais efficace.

Qu’êtes-vous venu faire ici ? Ignorez-vous sur quelle planète nous nous trouvons ? Un individu comme vous, composé de fruits et de légumes, finirait ses jours dans un cirque ou comme épouvantail dans un potager. On le mettrait sous cage, on l’examinerait au scanner, à l’IRM. On prélèverait une goutte de sève par ci, une feuille par là. On le goûterait, on analyserait des échantillons qu’on sèmerait, histoire de voir pousser d’autres spécimens de votre espèce.

Ignorez-vous que sur cette planète ON MANGE les fruits et les légumes ? Les raisins qui vous servent de cheveux – méfiez-vous, certains dépassent de votre chapeau – on en croque les grains, on les écrase à coups de pieds dans des cuves jusqu’à extraire leur sang qu’on laissera fermenter pendant des mois avant de remplir des bouteilles que l’on videra dans des bouches avides et jamais rassasiées. Le même sort est réservé aux pommes de vos joues, à la poire de votre nez, aux citrons de vos oreilles, tout acides qu’ils soient. Et la châtaigne qui vous sert de bouche, on la fait griller sur des charbons ardents !

J’ai aussitôt envoyé mon agent spécial, la petite vieille au parapluie, à votre poursuite. Nous savions que vous vouliez retrouver la trace d’Arcimboldo. Le musée du Louvre où vos portraits sont exposés vous a paru l’endroit idéal, n’est-ce pas ? Pauvre innocent ! Vous l’avez échappé belle ! Dans ce monde peuplé d’omnivores, vous n’auriez pas tenu huit jours. Encore moins devant un végétarien, aucune chance face à un végétalien.

Mais qu’est-ce que vous avez donc dans votre tête de courge ! D’ailleurs, vous devriez en couper la queue. Cela donne une drôle d’allure à votre chapeau. Excusez-moi, je ne devrais pas m’énerver. Si au moins je pouvais vous convaincre sans être obligé d’employer la force.

 Vos yeux de myrtilles se tournent avec crainte vers la pyramide de verre, notre station de téléportation. C’est rapide, mais c’est risqué. La reconstitution du corps, à l’arrivée, peut ne pas être identique à ce qu’il était au départ. Cela se produit dans moins de 0,01% des cas, mais le risque existe. On a observé un phénomène de translocation irréversible entre les grains de raisin et les fanes de la carotte. Ceux qui l’ont vécu se disent assez gênés dans la vie de tous les jours. Alors faites gentiment ce que je vous ordonne et tout se passera bien. Mon assistante au parapluie va vous accompagner. Bientôt, vous tremperez vos racines dans la terre accueillante de votre astéroïde végétalique.

Je sais que nous sommes le 22 septembre. Inutile de me le rappeler. Vous avez votre visage d’automne, tout est donc conforme à ce qui doit être. Je remarque que vous gardez toujours cette figue éclatée pendue à votre oreille. Vous finirez par vous attirer des ennuis en affichant des goûts aussi détestables.

Si je connais le 21 mars ? Quelle question ! Et si j’aime les fleurs ? Oh, mais je comprends… Voilà pourquoi vous êtes revenu. Vous avez posé pour les quatre saisons. Vous y avez gouté, vous avez comparé et vous avez choisi. Le printemps ! Le printemps ! Tout le monde veut être le printemps ! Il n’en est pas question ! Si nous avons décidé que vous seriez l’automne, c’est que nous avons nos raisons. 
C’est agréable l’automne. Il fait encore doux, les feuilles des arbres changent de couleur, elles tombent en tourbillonnant, parfois on se croirait en été… Pas question de changer ! Quelle idée ! Rester printemps à vie sur cette planète ? Vous voudriez être couvert de fleurs ? Que dis-je ? Vous voudriez ETRE la multitude de fleurs printanières, vêtues de mille couleurs, vibrant de parfums exubérants, roses aux fragrances insoutenables, marguerites au blanc immaculé, lavandes aux senteurs estivale, couvertes de papillons virevoltants, d’abeilles butineuses, de bourdons vrombissants ! En permanence, pour l’éternité ? Impossible !

Ici, le printemps ne dure qu’une saison. Il est remplacé par l’été, lui-même remplacé par l’automne, etc… Il s’agit d’un cycle. Si on le dérègle, tout se cassera la figure. C’est très différent de votre monde où les saisons sont toutes présentes en même temps.  

Et je vous rappelle qu’ici on ASSASSINE les fleurs ! On les cueille, on les coupe, on arrache leurs pétales sous prétexte de prédictions farfelues, on en fait des bouquets, des guirlandes, des couronnes, on les laisse agoniser dans des vases, on les jette à la poubelle !

Quoi ? Arcimboldo vous l’a promis. Mon pauvre ami. Vous ignorez donc que les habitants de cette planète sont mortels. Votre rencontre avec Arcimboldo date de plus de quatre siècles. Vous aurez beau fouiller la terre de vos racines, vous ne retrouverez que des os inutiles.

En plus, le printemps est une très mauvaise saison, croyez-moi. La montée de la sève, les bourgeons, l’éclosion, les engrais en veux-tu en-voilà, les insectes qui tournicotent, qui pollinisent… Je n’aimerais pas ça du tout. Ça doit chatouiller, j’en ai des frissons rien que d’y penser… 
L’époque des amours, dites-vous ? Que me chantez-vous là ? Vous vous y connaissez en amour, maintenant ? Mais bien sûr que je le sais ! Bien sûr que je le sais ! Les fleurs sont des sexes. Et vous ne pensez qu’à ça ! Vous voudriez être un sexe gigantesque composé de milliards de sexes rivalisant de fraîcheur, de séduction, de beauté. Vous rêvez, mon ami, vous rêvez. Non, croyez moi, je vous sauve la vie en n’accédant pas à votre demande. Rester printemps pour l’éternité, équivaut à plonger une écrevisse vivante dans une casserole d’eau bouillante. Vous ne pouvez pas comprendre. Vous n’avez pas posé pour l’allégorie de l’eau, du même peintre. Des poissons partout. Des crevettes en guise de sourcils. Une anguille autour du cou. Beurk !  Même pour les perles je ne plongerais pas dans cet aquarium ambulant.

Il est temps de partir. Vous arriverez chez vous plus de quatre siècles en arrière, avant la rencontre avec ce peintre qui n’a fait que se servir de vous. Vous aurez tout oublié et vous continuerez votre vie de végétal insouciant en ignorant le fonctionnement de cette planète Terre, où tout, décidément, va de travers.

Mais où allez-vous ? Revenez ! Votre signalement est affiché partout. Sur les cartes postales, les posters, les vêtements, les fonds d’écran… Vous allez finir en ratatouille, bouillis, frits, grillés ; en salade de fruits épluchés, découpés, épépinés ; ils vont vous bouffer jusqu’aux racines… Revenez ! Revenez !

Tant pis, vous l’aurez voulu !

Sur un signe, la vieille dame ouvre son parapluie, règle le laser sur la position mixer, l’oriente vers le fuyard et, d’un clic, réduit l’automne d’Arcimboldo à une purée de légumes assortie de quelques fruits…