lundi 16 février 2015

LA LIBERTE D'EXPRESSION AU REGARD DE LA PSYCHANALYSE

J’ai présenté ce texte en ouverture d’un débat sur la liberté d’expression auquel j’ai participé le 13 février à Toulon en compagnie de Philippe Granarolo et Michel Ferrandi, philosophes. 
Débat organisé par Fabienne Dalloz et Alexis Wiehe.

Selon la théorie psychanalytique, c’est dans l’enfance, en particulier entre 0 et 6 ans, que se forment les différentes structures mentales qui président au développement de l’individu et qui feront de nous ce que nous sommes.
Question : à quel moment du développement libidinal de l’enfant peut-on repérer le signe d’une expression personnelle libre, plus ou moins affranchie des influences parentales et dégagée du vouloir plaire à l’autre ?

La psychanalyse décrit ce processus à travers 3 stades : oral, anal, phallique.
Stade oral :
Il s’étale de la naissance jusqu’à l’âge de 1 an-1 an et demi.
A la naissance, toutes les fonctions assurant la survie du bébé sont automatiques, sauf l’alimentation. D’où le nom de stade oral. Le bébé se trouve dans une relation de dépendance totale aux autres, en particulier à sa mère.
Pendant cette période, l’enfant va faire l’expérience de l’agréable et du désagréable, du plaisir et du déplaisir. Il exprimera son ressenti de façon réflexe et automatique à travers son tonus musculaire. L’expression corporelle sera donc la première manifestation du vécu émotionnel de l’enfant.
Stade anal : entre 1 an-1 an ½ et 3 ans.
Autonomie de la marche, mais aussi autonomie sphinctérienne. Ce qu’on appelle l’apprentissage de la propreté. D’où le nom de stade anal. Autant la phase orale se traduit par la situation de dépendance de l’enfant à son entourage, autant la phase anale va se caractériser par la manifestation de l’autonomie.
En maîtrisant ses sphincters, l’enfant découvre son pouvoir sur le fonctionnement de ses intestins. Capacité de rétention et d’expulsion. Il quitte la passivité du stade oral. Il devient actif.
Du fait de cette maîtrise, l’enfant va se trouver confronté aux règles du vivre ensemble. A savoir, on fait ses besoins dans un lieu spécifique en tenant compte du fait que d’autres personnes l’utiliseront, etc.
Cette évolution physiologique va s’accompagner d’un autre bouleversement dans le rapport de l’enfant à lui-même et aux autres. En même temps qu’il acquiert le contrôle de ses sphincters, l’enfant accède à la faculté fondamentale de dire je et de dire non.
Par l’utilisation du je, l’enfant se reconnait comme sujet. Il va affirmer son moi, sa singularité, et par l’utilisation du non, l’enfant va affirmer sa différence. Il va exprimer son opposition, il va tester les limites, il va tenter de les transgresser, il va refuser de se soumettre aveuglément au désir de l’autre pour affirmer le sien propre. Ce nouveau mode de relation s’appuiera sur un sentiment de toute puissance donnant à l’enfant l’illusion que beaucoup de choses dépendent de lui.
Stade phallique : entre 3 et 6-7 ans,
Se caractérise par l’investissement des organes génitaux et la découverte de la différence des sexes. C’est l’âge des questions sur la sexualité des parents, la procréation, la grossesse, la naissance.
C’est aussi l’âge du complexe d’Œdipe. Organisation mentale structurée où se mêlent désir amoureux pour le parent du sexe opposé et hostilité à l’égard du rival du même sexe.
La confrontation à l’interdit de l’inceste, le renoncement à ses désirs incestueux, l’intégration de la loi (du père), permettront à l’enfant de résoudre le complexe œdipien et de s’ouvrir à la société, en acceptant de choisir, plus tard, un partenaire sexuel en dehors de la famille.

Dans chacun de ces stades on repérera un aspect positif et un aspect négatif :
Stade oral :
Positif : contact avec la bonne mère qui nourrit, enveloppe, réchauffe, apporte sécurité et bien-être ;
Négatif : contact avec la mauvaise mère : vécu de morcellement, frustration, souffrance.
Stade anal :
Positif : autonomie sphinctérienne, affirmation de soi, capacité de s’opposer à l’autre.
Négatif : sentiment de toute puissance, transgression des règles, agressivité pulsionnelle.
Stade phallique :
Positif : différenciation sexuelle, curiosité, acceptation de la loi, ouverture vers la société.
Négatif : désir incestueux, désir de meurtre, refus de reconnaître la loi et de s’intégrer à la société.

Où se situent les germes de la liberté d’expression ?
Au stade oral, l’enfant s’exprime avec son corps de manière automatique et réflexe. Il y a donc expression mais on ne peut pas parler de liberté. Il restera soumis à l’adulte et absorbera réellement et symboliquement toute nourriture venant de lui : nourriture alimentaire, spirituelle, fantasmatique. Il introjectera sans pouvoir faire le tri, les sentiments, les émotions, les pensées, les croyances de l’autre.
Au stade anal : en plus de l’expression corporelle spontanée, grâce à la maitrise sphinctérienne, à l’emploi du je et du non, l’enfant peut s’exprimer de façon volontaire à l’intérieur de règles établies. Si on respecte sa spontanéité, sans le contraindre à se soumettre à nos propres convictions, il pourra développer un esprit critique, s’autoriser à penser ses propres pensées, sans se sentir obligé de se conformer aux idées de ses parents, sans se sentir obligé de souscrire à leurs croyances.
Au stade phallique ; en plus de l’expression corporelle spontanée et de l’affirmation de soi, l’enfant va découvrir la différence sexuelle, il va expérimenter la réalité de la loi, bien loin de sa croyance magique et de ses fantasmes de toute puissance. Il va renoncer à ses désirs pulsionnels, accepter de s’éloigner du cocon familial et s’engager dans la société pour y trouver sa place et des partenaires autres que ses parents.  

Généralement c’est à l’âge de 6-7 ans que se clôt ce cheminement (qu’on appelle processus primaire). L’enfant entre alors dans la période de latence, (processus secondaire). Cette période est caractérisée par le passage à la pensée représentative et symbolique, permettant l’apprentissage de la lecture et de l’écriture et l’investissement de nouvelles connaissances. 

Ainsi, lorsque le développement de l’enfant se fait de manière positive, l’individu va naviguer librement entre ces trois stades qui sont présents et interactifs tout au long de notre vie. En ce qui concerne la liberté d’expression, il se sentira libre d’adhérer à un mode de pensée qui lui convient ou de le critiquer, voire de le refuser. Libre aussi d’avoir ses propres idées et de les proposer, même si elles sont différentes des enseignements qu’il a reçus. Et, en même temps il reconnaîtra ces mêmes droits aux autres.
Dans le cas contraire, s’il y a blocage ou fixation négative à l’un des stades, l’évolution de la personnalité sera entravée et le refus de la liberté d’expression pourrait en être la conséquence. 

Ainsi une fixation négative au stade oral pourrait se traduire de la manière suivante : j’ai reçu un enseignement. Je m’en suis nourri. Il n’en existe pas d’autre. Aucun enseignement ne vaut celui-là. C’est un peu comme si vous ne mangiez que de la purée, en entrée, en plat principal et en dessert, parce que vous avez appris et vous en êtes persuadé que seule la purée est bonne. Vous refusez donc toute autre nourriture. Et vous vous débattez avec énergie si on veut vous forcer à avaler autre chose. Symboliquement, vous resterez bloqué dans une relation de dépendance aux premières images parentales, sans parvenir à vous en affranchir.
Une fixation négative au stade anal, donnerait ceci : J’ai été nourri de cette idée, cette croyance, et je tiens à la garder pour moi. C’est mon trésor. Toute autre idée est inconcevable. Il n’y donc pas de place pour autre chose en moi. Donc pas de place pour la différence. Seule cette idée, cette croyance est vraie. Je me battrai pour que tout le monde la partage. J’emploierai la force pour que vous pensiez comme moi. Tous ceux qui refusent de croire et de se soumettre  à ma croyance sont mes ennemis et doivent être détruits.
La fixation négative au stade phallique se traduirait ainsi : Mise en acte de relations incestueuses, attouchements, viol, pédophilie. Mise à mort, réelle ou fantasmatique, des rivaux qui convoitent ce que je convoite ou qui possèdent ce que je convoite. 

En conclusion, je pense que l’évolution de la liberté d’expression sera fonction de l’évolution de l’enfant à l’intérieur des différents stades. Stades dont nous restons imprégnés toute notre vie, et auxquels nous revenons lors de périodes de régression.
Au cours du stade oral, l’expression de l’enfant se fait de façon réflexe sur le mode tonico-émotionnel.
Au cours du stade anal, cette expression est volontaire et se manifeste par le contrôle des sphincters, l’opposition et l’affirmation de soi.
Au cours du stade phallique, l’expression se fera à travers le désir, la rivalité et le rapport à la loi permettant la résolution du conflit œdipien.
Ainsi, une circulation fluide entre les différents stades de l’évolution de l’enfant, privilégiant leur aspect positif, met l’individu dans des conditions favorables pour s’exprimer librement, sans à priori ni préjugés, et pour accepter la libre expression de l’autre, dans le respect des règles de la société et de la loi.
A l’inverse, un blocage lors d’un des stades de l’évolution empêche l’individu de se délivrer des influences qui freinent son libre arbitre. Avec pour conséquence, le risque de verser dans l’intolérance et de recourir à la violence. 

Jacques KOSKAS

mercredi 21 janvier 2015

LETTRE A MOISE PROPHETE 1ER



Lettre à Monsieur Moïse, Prophète 1er

Monsieur le Prophète,

Il y a quelques millénaires, grâce à vos talents d’orateur, votre passion, votre don de la persuasion, vous nous avez convaincus d’adopter un certain Yahvé, nouveau venu dans un ciel déjà encombré.

La nouveauté exerce un attrait jamais démenti, bien connu des publicitaires et autres marchands de rêve.

En fin bateleur, vous nous avez vanté les qualités de ce dieu nouveau. Grandissime, éternel, infini, omniscient, omnipotent. Créateur de l’univers, des hommes, des animaux et du reste... Impossible de tout citer.
Dieu invisible (une autre nouveauté), il nous promit le ciel en échange de l’observance rigoureuse de multiples interdits et de la croyance sans faille à son existence. Le prier plusieurs fois par jour en rappelant sa grandeur sans égale étant une condition absolue à notre salut.

A l’époque, nous faisions bon ménage avec de multiples divinités, composées de bric et de broc, que nous fabriquions nous-mêmes. Quelques pierres entassées, deux ou trois morceaux de bois alignés ou vaguement sculptés pour les plus habiles, couverts d’or ou d’argent pour les plus fortunés, suffisaient à créer un dieu à qui adresser nos prières pour que la pluie tombe ou que la petite dernière trouve un bon mari. Les dieux sont comme les humains. Certains se révèlent plus doués que d’autres. Quand ils ne nous convenaient plus, nous en changions, tout simplement. Des dieux disparaissaient, d’autres apparaissaient, assurant le renouvellement des générations. Si les plus cotés avaient droit à leur temple personnel, la plupart se contentaient d’un bout de trottoir ou d’une bougie posée sur une fenêtre. 

Le polythéisme régnait donc pour le bonheur de tous. Chacun son dieu, un dieu pour chacun et même un dieu pour les dieux. Qu’on l’appelle Zeus ou Jupiter ne change rien à l’affaire.

Monsieur Moïse, séduit par votre discours, (mais avions-nous le choix ?) nous avons abandonné nos divinités au profit d’une religion nouvelle (la nouveauté, toujours !) le monothéisme.

Il a nous fallu du temps pour comprendre que tout ce qui commence par mono doit éveiller notre méfiance. Monotone, monochrome, monopole, monologue, monogame... Du temps aussi pour réaliser qu’un dieu unique, tout puissant, exerçant son contrôle sur les moindres actes de notre vie, interdisant que nous servions d’autres dieux que lui-même, (atteinte avérée aux règles de la libre concurrence) penche inévitablement du côté de la pensée unique, de la dictature, du totalitarisme.

D’ailleurs que savons-nous de ce dieu qui se prétend créateur du monde, alors qu’il ignore que la Terre est ronde et qu’elle tourne autour du soleil ?

Vous en conviendrez, ce monothéisme n’est pas une réussite. Le nombre de guerres où des soldats de toutes obédiences s’étripent au nom de ce même dieu en est une preuve flagrante.

Aussi, en ma qualité de président de l’ARP (Association pour la Réhabilitation du Polythéisme) je remets entre vos mains de prophète − celles-là même qui ont brandi les tables de la Loi − cette pétition, forte de plusieurs millions de signatures.

En ces temps de retour à tout et n’importe quoi ‒ retour à la terre, à la nature, à l’authentique, au folklore, au patois, aux fauteuils Louis XVI ‒ et j’en passe, nous demandons, solennellement le retour au polythéisme. Mais attention ! Le polythéisme dans la laïcité. Nous prônons, tout simplement la nomination des dieux de l’Olympe dans le gouvernement. Six dieux et six déesses, bel exemple de parité avant l’heure.

Imaginez, monsieur Moïse, les ministères que nous aurions. Hermès, aux télécommunications. Ares, aux affaires étrangères ; Apollon, à la culture ; Athéna, à la sagesse (un nouveau ministère à créer), Déméter, à l’agriculture ; Artémis, à l’environnement ; Bacchus, à la fête (un autre ministère à inventer)... Et Aphrodite, ou Vénus, selon que vous la préférez grecque ou romaine, ministre de l’amour, oui, de l’amour, monsieur le prophète !

A la lecture de cette lettre, vous lèverez sans doute la tête, dans l’espoir de recevoir un signe de Celui, qui en toute modestie, se définit comme étant Celui qui est.

Je doute qu’il vous réponde. Certains le soupçonnent de ne pas exister. D’autres soutiennent qu’il a cessé de vivre. D’autres encore prétendent qu’ils l’ont vu partir vers d’autres cieux, dans une autre galaxie, à la recherche d’hominidés pas encore humains, plus malléables que ceux que je représente, ici.
Vous êtes donc seul. La décision vous appartient.

Dans l’attente de votre réponse, je vous prie de croire, monsieur Moïse, Prophète 1er, à mes sentiments les plus polythéistes.

Théo Payen, président de l’ARP

dimanche 11 janvier 2015

ILS ONT CASSE MON CRAYON



Je dessinais
Ils sont arrivés
Ils ont cassé la mine de mon crayon
En explosant la pointe noire a éclaboussé de rouge la feuille blanche
J’ai ouvert mon tiroir
J’ai sorti mon taille-crayon
Et j’ai continué

jeudi 1 janvier 2015

JOUR DE L'AN



Je suis le jour de l’An.
C’est-à-dire « le premier jour de l’an nouveau »
Comme c’est trop long, on dit « jour de l’An »
 
Je suis de sexe masculin, sinon on dirait « journée de l’année »
 
On me fête le 1er janvier.
C’est l’hiver. Il fait froid, il fait sombre, il fait gris
 
Le 1er mai a plus de chance
A cause du soleil, des défilés, du muguet
Mais surtout, à cause des filles, plus belles au printemps
 
Le 1er avril est un farceur
Il raconte des histoires qui finissent en queue de poisson
 
J’évite le 1er septembre
Il me traite d’usurpateur
Il prétend que le vrai jour de la rentrée, c’est lui
Chaque année, il fait circuler une pétition réclamant ma destitution
 
Je n’aimerais pas être le 1er novembre
A cause des morts qui s’accumulent
Jadis il ne gérait que les saints (un pour chaque jour de l’année, c’était jouable)
Depuis qu’on lui a collé les âmes de tous ceux qui doivent la rendre bon gré mal gré
Il peine
Chaque année, la liste s’allonge
A cause des guerres, des attentats, des inondations et autres tsunamis
Sans compter les accidents, les suicides, la faim
Et la mode des génocides qui se répand
Maintenant que le moindre dictateur s’applique à en inscrire un à son palmarès
 
Alors malgré l’hiver, le froid, la grisaille
Je me console d’être le 1er janvier
Les rues sont illuminées, les magasins clignotent
Chacun embrasse n’importe qui
Et j’ai des guirlandes autour du cou
 
Bien sûr ça ne remplace pas le soleil
 
Mais je garde espoir
Le réchauffement climatique s’accélère
Les glaces fondent
L’hiver s’épuise
 
C’est pourquoi je réponds poliment :
Bonne année à vous aussi