vendredi 28 août 2015

UNE IDEE



Une idée

           D’abord, je n’y fis pas attention. Légère, aérienne, elle flottait portée par une brise chaude. Virevoltant sur une ritournelle de trois notes échappées d’une boîte à musique, elle embaumait ce parfum que l’on respire dans le Sud, menthe et thym piqués d’une pointe de piment rouge. L’aurais-je inhalée, le nez au vent ?

          À moins qu’elle ne soit entrée par la bouche. Je l’aurais avalée comme on avale n’importe quoi, l’eau, l’air, la fumée. Alors pourquoi pas une idée ? Ça va, ça vient, ça se donne, ça se retient… ça peut même se refuser. Ainsi, moi, j’ai toujours repoussé l’idée de la mort. Résultat, la mort n’existe pas.

          Les gens qui meurent ? Ceux-là avaient accepté l’idée de la mort avant de mourir. Vous comprenez pourquoi je suis aussi prudent avec les idées qui se présentent. Surtout les nouvelles, qui ne sont souvent que des anciennes, remises au goût du jour. Ainsi, accorder les mêmes droits à tout le monde, sans distinction d’origine, de classe, d’âge, de sexe, de religion, de peau… est une vieille idée, jamais appliquée, parce que contre-nature ! Ou alors décider du moment de sa mort et se faire assister par le personnel médical, le tout remboursé par la sécurité sociale. Idée ingénieuse qui consiste à faire sponsoriser son suicide par les contribuables. Délirant, non ?

          Vous pensez que suis obsédé par la mort ? En voilà une idée ! La mort ne présente aucun intérêt pour moi. Je veille à ce qu’aucune de mes idées ne soit en contact de près ou de loin avec ce qui peut l’évoquer. Impossible ? Voilà une idée toute faite ou je ne m’y connais pas. Réfléchissez. Chaque idée appartient à une catégorie. Chaque catégorie a ses spécialités. Prenez les idées noires avec leur cortège de blues, déprime, mélancolie et autres jérémiades. Elles sont spécialisées dans la mort à plus ou moins long terme selon le temps dont on dispose et selon l’urgence. Donc, je les élimine sans m’encombrer d’état d’âme. Simple comme idée non ?               

        Impossible ? Décidément, c’est une idée fixe chez vous. Laissez-moi vous expliquer. Avant de faire mienne une idée, je l’étudie, je la sonde, je la teste. En particulier si elle semble insolite. C’est le cas des idées étrangères, venues d’on ne sait où, qui sèment à tout-va et qui n’ont qu’un but : pénétrer les esprits faibles pour les dominer.

          Pour moi, une bonne idée est une idée conforme à celles qui m’habitent. Et je suis sans pitié pour les idées farfelues qui cherchent à s’imposer en corrompant les miennes. Comment les reconnaître ? Quelle naïveté ! N’avez-vous donc rien dans la tête ? Ne voyez-vous pas toutes ces idées parées de beaux atours, brillant de mille feux, qui se colportent ici et là sous les masques trompeurs du progrès et de la liberté ? Certaines vont même jusqu’à prôner l’égalité entre tous les êtres vivants.

          Ne plus manger d’animaux sous prétexte que les conditions d’élevage et d’abattage sont inhumaines. Quelle idée ! Ce sont des animaux, pas des humains ! Faut pas confondre !

          Affirmer que l’agneau souffre au moment où le couteau lui tranche la gorge, que le poisson se tord de douleur pendant son agonie sur le pont d’un bateau, que les poussins mâles, broyés vivant à leur naissance, endurent le martyre,  c’est une idée noble, certes, aussi je demande, sans rire : qui se préoccupe de la laitue qui hurle sa souffrance au moment où on lui coupe le pied ? Voilà une idée à méditer, vous ne trouvez pas ?

          Vous semblez si morose. Je ne serais pas étonné d’apprendre que vous êtes en proie à des pensées coupables, malfaisantes, qui vous minent et ne vous laissent aucun répit.

        Résistez ! Faites comme moi ! Je limite mes idées au strict nécessaire. Une idée pour les jours ordinaires, une autre pour les moments exceptionnels, plus une ou deux que je garde en réserve pour les dîners en ville. Que des idées claires, de bon sens, d’honneur et d’honnêteté. Des idées irréprochables, que partagent les personnes tout à fait estimables que je fréquente.

          Je vois. Vous trouvez cela limité, rétrograde, peu stimulant ? Voilà une idée qui ne me plaît guère et que j’écarte aussitôt. Que dites-vous ? Mortifère ? C’en est trop ! Je constate que vous êtes intoxiqué au plus haut degré. À votre place, je chasserais immédiatement ces idées misérables.

          Prenez exemple sur moi. Je vous faisais part de mon inquiétude à propos de cette idée que j’ai avalée en respirant l’air du Sud, bercé par une petite musique malicieuse aux senteurs exotiques. Cette idée me hante. Elle est lancinante, insistante, répétitive. Pour être franc, je suis un peu désemparé. C’est la première fois que je me trouve face à une idée inconnue aussi tenace. J’ai le sentiment qu’elle me nargue. Elle a réussi à s’infiltrer dans mon cerveau. Elle fouine, m’espionne, me colonise, cogne contre mes tempes, sous les os de mon crâne. Quel vacarme ! Mes pensées s’entrechoquent, s’emmêlent, je ne les reconnais plus. Mes certitudes volent en éclat. C’est le chaos ! Des idées folles me traversent. C’est intolérable ! Je suis contaminé ! Vous m’avez contaminé ! J’aurais dû être plus vigilant. J’aurais dû me boucher le nez ce jour-là. Fermer ma bouche, mes yeux, mes oreilles !   

          Je ne me laisserai pas faire. Je vais expulser cette idée tentatrice, obscène, révoltante. Je vais l’extirper de ma tête. Comment ? Rien de plus simple. J’ai déjà eu l’occasion de soulager certains individus infectés par des idées inacceptables. Il suffit d’une petite opération, sûre et rapide. Une ouverture dans la tempe, et l’idée indésirable disparaît à jamais.

          Ce revolver fera très bien l’affaire.

Jacques KOSKAS

mercredi 19 août 2015

18 rue du Parc en édition numérique

 



vendredi 31 juillet 2015

RENCONTRE DEDICACES

JEUDI 13 AOUT 2015
je dédicacerai mes livres
au Salon du livre de COGOLIN  dans le Var
                              
 

samedi 25 juillet 2015

LE RASOIR SUR LA GORGE

L’un est assis.
L’autre, debout derrière lui, tient dans sa main droite une sorte de rasoir ancien à longue lame, au manche en bois précieux orné d’inclusions de nacre. De son autre main, il maintient fermement la tête de l’homme assis, tirée en arrière, gorge dégagée.
L’homme assis, engoncé dans un vêtement qui le prive de l’usage de ses bras, enfonce ses ongles dans les accoudoirs de son siège.
Dans le miroir accroché au mur, il voit le rasoir luire et dessiner une courbe dans l’air moite en s’approchant de son cou. L’homme, debout derrière lui, s’immobilise et le fixe droit dans les yeux, le regard mauvais.
Mériteraient que je les tue tous ! grogne-t-il entre ses dents. Mériteraient d’être égorgés comme des bêtes malfaisantes ! Tous, autant qu’ils sont !
L’homme assis, les yeux écarquillés, fixe les mouvements du rasoir à deux centimètres de sa pomme d’Adam. Mouvements saccadés, synchronisés sur le débit de parole, de plus en plus rapide, de l’homme debout.
Personne ne m’écoute ! Alors quand j’en tiens un sous la main, je le lâche plus ! Cessez donc de gigoter. Un coup de rasoir, c’est vite parti !
L’homme assis, ouvre la bouche pour parler, mais l’autre ne lui en laisse pas le temps :
Bougez pas, j’vous dis ! Je suis célèbre pour mon coup de main. Rapide et sûr. Ne vous inquiétez pas.
L’homme assis, cherche dans le reflet du miroir où se cache la caméra. Il y en a forcément une. La vidéo sera diffusée sur You tube, comme les autres. Egorgé en direct. Saigné, décapité.
Me suis fait avoir. Ce rendez-vous était un piège. Ce mec est un terroriste. Genre djihadiste de quartier. Un électron libre, fan de Daech ou de l’EI. Pourquoi s’en prend-il à moi ? A quoi rime d’égorger un comptable travaillant dans une usine d’aliments pour chiens ? Il n’aime peut-être pas les chiens. Animaux impurs. Comme le porc. Que je ne mange pas, d’ailleurs. Je suis végétalien ! Doit y avoir une erreur quelque part. Pourtant je le connais depuis un certain temps, ce type. Sûrement converti depuis peu. Les pires ! Coincés dans leurs préjugés. Encore plus intolérants, plus extrémistes que les vrais. Le genre d’illuminé à avancer masqué. Sans barbe ! Pour ne pas être reconnu.
La lame du rasoir se pose sur la gorge de l’homme assis, tétanisé, les yeux exorbités fixés sur le visage de l’homme penché sur lui, l’air concentré sur sa tâche.
C’est sûr, je les égorgerais tous, ces salauds. S’en foutent de la crise. Veulent juste s’en mettre plein les poches. Je leur exploserai la gueule avec le même plaisir qu’ils prennent à faire exploser mes charges ! Charges de dynamite, oui !  Mais, je m’énerve, vous n’êtes pas venu pour m’écouter débiter mes salades. Que voulez-vous, dans mon pays, on a le sang chaud !
La lame du rasoir pèse sur la gorge de l’homme assis. D’un mouvement rapide, elle glisse, découvrant une bande de peau imberbe, bordée de chaque côté d’une épaisse couche de mousse à raser.
Vous en aviez assez de votre barbe ? C’est vrai qu’avec cette chaleur, vaut mieux se découvrir. Et puis, entre nous, c’est plus prudent, vous auriez pu passer pour un intégriste prêt à commettre un attentat ! Le plan vigie-pirate, ça rigole pas !

Jacques KOSKAS